Trois bougies pour le Printemps arabe: Bilan

Préambule: Le Printemps arabe

Voilà trois ans qui se sont écoulés depuis le déclenchement du “Printemps arabe”. Le Proche-Orient reste une région très loin d’être stable, mais on peut commencer à dresser un bilan après cette vague de révolutions.

Des régimes de fer ont succombé aux “révolutions”, et d’autres régimes, qui semblaient archaiques et chancelants ont pu résister. L’Occident a été sonné par des faux calculs et les Etats-Unis en ont profité pour effectuer un changement radical de leur politique.
En effet les révolutions qui ont secoué le monde arabe sous le sobriquet de “Printemps arabe” ont traversé les monarchies du Golfe en laissant très peu de traces, les têtes couronnées ont pu conserver chacune sa couronne. Les régimes ont réagi au quart de tour: dès les premiers échos des cris “à bas…” et “… dégage”, 36 milliard de dollars ont été distribués dans le Royaume saoudien. Le Qatar a augmenté les salaires dans la fonction publique, et le Koweit a actionné le chant de la fibre nationaliste. Le sultan d’Oman, un moment fragilisé par des manifestations éparses a fait quelques concessions minimes et absorbé le choc. Les basses classes dans ces pays étant formées par des immigrés, aucun mouvement n’était à craindre. Seul le Bahrain a connu un début de révolution qui fut écrasé par les blindés saoudiens. L’ombre de l’Iran n’étant pas loin de ce mouvement, la solidarité du Conseil de coopération du Golfe (CCG) a joué face à un mouvement qui s’est appuyé sur la sensibilité de la majorité chiite face à la famille régnante appartenant à la minorité sunnite. Tandis que les Emirates arabes unis se sont contentés de mettre en place une dizaine de charters pour rapatrier pèle-mêle des islamistes égyptiens, des chiites libanais et les plus turbulents des Syriens.
De l’autre côté de ce monde arabe, le roi de Jordanie a reçu une aide substantielle de ses frères du Golfe, et fut invité comme le roi du Maroc à intégrer le CCG, une idée saugrenue d’un point de vue géographique.
Ces réactions rapides et décisives ont protégé ces royaumes et principautés des vents du Printemps arabe.
Tandis que les républiques bâties sur le modèle jacobin nationaliste sinon soviétique, où des dictateurs semblaient tenir son pays d’une main de fer avec des régimes policiers bien rodés à la répression, se sont effondrées comme des châteaux de cartes. La Tunisie, l’Egypte, la Libye et le Yémen ont vu un changement qui les a plongés dans un chaos qui semble sans fin. En Syrie la résistance farouche du régime a plongé le pays dans une guerre atroce dont les dimensions se sont multipliées. De révolution dans le sillage d’un Printemps arabe sous le signe des revendications de liberté, cette révolution a basculé dans une guerre civile et ethnico-religieuse.
Ce bilan est une lecture de surface uniquement. Le Printemps arabe a insufflé plusieurs changements très profonds en dehors du Proche-Orient.

1) Aveuglement de l’Occident
Il est apparu que l’Occident de façon générale, les grandes puissances en particulier les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne n’ont pas pu voir venir ce mouvement profond dans les sociétés arabes. Et même quand ces puissances “influentes” ont voulu prendre le train en marche et épouser le mouvement, elles se sont lourdement trompées: parlant de jeunesse et de liberté elles n’ont pas vu monter l’intégrisme qui s’est agrippé aux révolutions. Là où l’Occident croyait voir un désir d’ouverture, ce sont les Frères musulmans qui ont pris le pouvoir par la voix des urnes.
L’Occident dormait sur les lauriers de sa double alliance contradictoire; d’un côté alliance avec les régimes monarchiques pour réguler leurs soutiens aux courants fondamentalistes, de l’autre côté alliance avec les régimes autoritaires pour casser les épines des mouvements djihadistes émanant de ces mêmes courants fondamentalistes, et protéger les intérêts occidentaux.
Le résultat: les pourvoyeurs de fonds au djihad ont résisté et les remparts face au djihad se sont écroulés.
A force de dîner avec deux diables à la même table … on finit par perdre les deux convives. Les attaques anti-occidentales en Libye et dans le Sahel, les diatribes officielles égyptiennes et les débats sur les réseaux sociaux sont les premiers symptômes.

2) Mutation des Etats-Unis
Le Printemps arabe qui a mis à découvert l’aveuglement occidental et a accéléré un mouvement latent aux Etats-Unis depuis l’arrivée de Barak Obama à la Maison blanche. Washington regardait vers l’Asie, son centre d’intérêt se déplaçait suivant le basculement du poids économique planétaire vers les régions entourant le Pacifique. Les Américains considéraient que le Proche-Orient était bien gardé entre les griffes d’alliés sûrs l’Egypte, Israël et la Turquie pour le poids stratégique et la pression militaire. L’Arabie saoudite et les pays du Golfe pour contrôler le pétrole et le gaz et juguler leur prix. Mais voilà que le Printemps arabe souffle sur la région.
L’Egypte est tombé dans l’escarcelle des Frères musulmans, et à peine Washington entamait un rapprochement pour leur donner un aspect fréquentable … à la turque, qu’un coup d’Etat les balaie et met Washington en porte-à-faux avec ces principes anti-coup de force au processus électoral. Et du coup avec la chute des Frères musulmans la Turquie, alliée principale des Frères, bascule dans un isolement dangereux surtout que ses relations avec l’autre allié américain Israël étaient et sont toujours au plus bas.
Les Etats-Unis vont tirer vite les conclusions. Des conclusions qui vont dans le sens de leur nouvelle stratégie et leurs nouveaux objectifs asiatiques: ils vont se rapprocher de la Russie et faire avec Poutine un “deal” dont les termes comportent des demandes américaines très simples et précises: i-combattre le terrorisme (Al-Qaeda); ii- garder sous contrôle le conflit arabo-israélien en dosant les fournitures d’armes aux différentes parties; iii- régler le problème de l’armement chimique de la Syrie et du nucléaire iranien. Du côté russe les avantages sont simples mais très évidents: i- retour de la Russie dans les affaires du Proche-Orient; ii- être autour de toute table qui discutera de pipeline de gaz vers l’Europe et peser sur les prix des hydrocarbures, tout en ne cachant pas que combattre le terrorisme djihadiste est une obsession russe depuis la guerre de Tchétchénie.
Si un deal pouvait faire aboutir les grands axes des objectifs américains pourquoi s’encombrer? semble dire la politique américaine. Et de ce fait les premiers prémices des fruits de ce deal apparaissent avant l’anniversaire du Printemps arabe: Les armes chimiques syriens sont sous contrôle et en voie de destruction et l’accord entre l’Iran et le groupe des “5+1” montre un chemin pour régler la question du nucléaire iranien.
Oncle Sam peut se retourner vers ses nouvelles préoccupations asiatiques.

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