A Fukushima, entre rêve de normalité et complexité nucléaire (Le Monde)

Le Monde | 07.02.2017 à 06h39 • Mis à jour le 07.02.2017 à 07h37 | Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

« L’ombre et la lumière. » C’est par ces mots que Masao Uchibori, le gouverneur de la préfecture de Fukushima, résume la situation de son département près de six ans après la catastrophe nucléaire qui l’a touché. Ils illustrent le contraste entre la reconstruction et les difficultés de s’extirper des conséquences du drame nucléaire provoqué par le séisme et le tsunami qui ont ravagé, le 11 mars 2011, le nord-est du Japon.

Le 6 février, M. Uchibori a profité d’un séminaire organisé dans la capitale nipponne pour détailler les ambitions de la préfecture, la « lumière ». En 2020, Fukushima veut ainsi devenir la base de production de l’hydrogène qui alimentera le village olympique des Jeux (JO) de Tokyo. Les autorités locales veulent également accueillir une partie des compétitions, de baseball et de softball notamment.

S’appuyant sur les recherches menées en robotique pour développer des appareils utilisés sur le site de la centrale nucléaire endommagée, la préfecture souhaite organiser, la même année, un forum mondial de la robotique.

Ayant officiellement décidé, dès 2011, de se débarrasser du nucléaire, elle prévoit de couvrir l’ensemble de ses besoins uniquement avec les énergies renouvelables, éolien, solaire, biomasse ou encore géothermie, avant 2040.

L’agriculture et la pêche peinent à repartir

Ces projets se heurtent à « l’ombre » évoquée par M. Uchibori, à savoir les conséquences multiples de la catastrophe nucléaire. Au quotidien, la population doit par exemple se soumettre à un suivi médical, notamment les enfants pour des examens de la thyroïde. Officiellement, selon les chiffres officiels donnés le 27 décembre 2016, 144 cancers de la thyroïde ont été confirmés depuis la catastrophe.

Plus généralement, les fondements de l’économie locale, l’agriculture et la pêche, peinent à repartir. Troisième plus grande préfecture du Japon, Fukushima était la quatrième en termes de surface agricole. En 2010, ses riziculteurs produisaient notamment 439 100 tonnes de riz, soit 5,3 % de la récolte nationale.

« Nos agriculteurs et pêcheurs peinent encore à vendre leurs produits », regrette M. Uchibori. La marque Fukushima continue d’inquiéter malgré les tentatives de convaincre de l’innocuité des produits, au travers, notamment, de contrôles réguliers des niveaux de contamination. Le 3 février, les autorités locales ont annoncé que ceux de 8 502 échantillons de poissons et de crustacés pris dans les eaux de la préfecture étaient pour la première fois tous inférieurs à la norme de 100 Becquerels par kilo. Sans véritablement convaincre.

A Taïwan, qui interdit les importations de produits alimentaires de Fukushima, l’administration de la présidente Tsai Ing-wen a provoqué une vague de protestations, fin 2016, après avoir tenté d’organiser des consultations publiques sur la levée de cette interdiction. La Corée du Sud et Hongkong maintiennent des mesures similaires malgré les demandes répétées du gouvernement nippon de les lever.

Massive opération de décontamination

Dans le tourisme, la fréquentation s’établit à 88 % des niveaux d’avant la catastrophe. Il n’y a plus ni visiteurs étrangers, ni voyages scolaires vers cette préfecture.

Dans ce contexte, le ministère de l’agriculture a promis 4,7 milliards de yens (39 millions d’euros) pour « lutter contre les rumeurs infondées » et pour s’assurer que les produits de Fukushima ne sont pas refusés par les détaillants.

Autre problème, le retour de la population. Une massive opération de décontamination, dont les coûts devraient atteindre 4 500 milliards de yens (37 milliards d’euros), a permis de lever les interdictions d’accès à certaines zones évacuées. Mais elle n’a pas concerné pas les zones forestières ou non habitées. Parfois, selon les conditions météo, la contamination revient.

D’après le gouvernement, seuls 13 % des habitants sont revenus dans les zones « décontaminées ». Il s’agit principalement de personnes âgées, les jeunes restant inquiets de l’impact des retombées radioactives ou ayant refait leur vie ailleurs. « Il reste 81 130 personnes évacuées », rappelle M. Uchibori. Il y en avait 160 000 en 2011.

Et la question continue de se poser du stockage des produits de cette décontamination. Un site doit être construit sur les communes d’Okuma et de Futaba, qui abritent la centrale et sont totalement évacuées. « Nous avons des difficultés avec les propriétaires des terrains », admet Satoshi Miura, de la préfecture de Fukushima.

Maladresses

La suspicion alimentée par les dissimulations des autorités et de la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco, opérateur de la centrale endommagée) qui avait attendu en 2011 deux mois avant de reconnaître que trois réacteurs étaient entrés en fusion, et par les problèmes de communication, devrait perdurer.

Soucieux d’aller vite, le gouvernement commet des maladresses. « Si la reconstruction était un marathon, 30 kilomètres auraient déjà été parcourus », a déclaré, le 28 janvier, le ministre de la reconstruction, Masahiro Imamura. « Certaines zones qui avaient été évacuées ne sont même pas sur la ligne de départ », lui a rétorqué M. Uchibori.

Les informations sur les travaux à la centrale endommagée ne rassurent guère. Le 3 février, Tepco, a dit avoir observé des niveaux de radiations « pouvant atteindre 530 sieverts par heure » à l’intérieur de l’enceinte de confinement du réacteur 2. La mesure a été effectuée grâce à l’introduction dans l’enceinte d’un bras télescopique équipé de dosimètres et d’une caméra.

Une personne exposée à une telle radioactivité mourrait presque instantanément. Dans un tel environnement, le travail du robot Sasori (Scorpion) devant explorer l’enceinte pourrait être perturbé. Il pourrait ne pas tenir plus de deux heures contre les 10 heures envisagées.

Nouveaux retards dans le démantèlement

Or ce travail est indispensable pour déterminer la méthode d’extraction du combustible fondu, une opération qui doit commencer en 2021. « Le processus de démantèlement du site pourrait se révéler plus complexe que prévu, estime Fumiya Tanabe, spécialiste de la sûreté nucléaire et de l’accident de la centrale américaine de Three Mile Island (Pennsylvanie) en 1979. On ne sait quasiment rien sur l’emplacement, la taille et la forme du combustible fondu. »

Tout cela fait craindre de nouveaux retards dans le démantèlement – par ailleurs compliqué par le problème de l’accumulation de l’eau contaminée et qui exige d’innover en permanence – prévu pour durer officiellement quarante ans.

De quoi également inquiéter pour les coûts. En novembre 2016, le gouvernement avait revu à la hausse le montant total de la résolution de la catastrophe, à 20 000 milliards de yens (165 milliards d’euros) contre 11 000 milliards de yens auparavant.
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